La garantie décennale est un pilier du droit de la construction en France. Elle impose au constructeur la responsabilité de certains dommages pendant 10 ans à compter de la réception des travaux. Mais que se passe-t-il à l’issue de cette période ? Quels sont les risques encourus après la fin de la garantie décennale ? Et comment se prémunir contre d’éventuelles complications ? Cet article fait le point sur ce moment charnière de la vie d’un ouvrage.
1. Qu’est-ce que la garantie décennale ?
La garantie décennale, prévue par l’article 1792 du Code civil, engage le constructeur à réparer les dommages compromettant :
- la solidité de l’ouvrage (ex : affaissement de dalle, effondrement de toiture),
- ou le rendement des éléments indissociables (ex : fissures infiltrantes, défaut d’étanchéité).
Elle concerne les constructeurs au sens large : artisans, promoteurs, architectes, bureaux d’étude, entreprises générales, etc. Elle court pendant dix ans à compter de la réception des travaux, formalisée dans un procès-verbal de réception.
2. Quand débute et se termine la garantie décennale ?
La garantie décennale débute le jour de la réception, même si les travaux ont pris du retard ou si le client n’a pas encore emménagé. Elle expire exactement 10 ans plus tard, jour pour jour.
Exemple :
Réception des travaux : 15 juin 2015 → Fin de garantie décennale : 15 juin 2025
Il n’existe aucune prolongation légale au-delà de ce délai, sauf dissimulation volontaire d’un vice par le constructeur (dol).
3. Ce qui change à la fin de la garantie décennale
La fin de la garantie décennale marque une rupture juridique importante. Passée cette date, le maître d’ouvrage ne peut plus engager la responsabilité décennale du constructeur pour des désordres affectant l’ouvrage, même s’ils apparaissent brutalement.
Cela signifie que :
- les réparations lourdes (structure, étanchéité) ne sont plus couvertes automatiquement ;
- l’assureur décennal du constructeur ne prend plus en charge les frais ;
- Le propriétaire supporte seul la charge financière, sauf recours exceptionnel.
4. Peut-on engager d’autres responsabilités après la fin de la garantie décennale ?
En théorie, oui. D’autres fondements juridiques restent possibles, mais sont plus complexes à mobiliser :
a) La responsabilité contractuelle de droit commun
Elle peut être invoquée jusqu’à 5 ans après la fin du contrat, mais est subsidiaire à la garantie décennale. De plus, elle nécessite :
- de prouver une faute précise du constructeur,
- de montrer un lien de causalité direct avec le dommage.
b) Le dol (vice caché volontairement dissimulé)
Si le constructeur a dissimulé volontairement un vice, la prescription peut être repoussée à 20 ans. Mais la preuve du dol est extrêmement difficile à apporter.
5. Quid des travaux effectués après réception ?
Si des travaux de rénovation ou de modification sont réalisés après la réception, ils peuvent faire l’objet d’une nouvelle garantie décennale, applicable aux seules interventions concernées.
Exemple : une surélévation réalisée en 2023 est couverte jusqu’en 2033, même si la maison d’origine date de 2013.
6. Pourquoi la fin de garantie décennale est un moment critique pour les propriétaires ?
a) L’apparition de désordres tardifs
Certaines pathologies du bâtiment mettent du temps à se manifester (affaissement progressif, déformation structurelle). Lorsqu’elles émergent après la dixième année, les recours sont limités.
b) Les litiges deviennent coûteux
Sans couverture décennale, les frais d’expertise, d’avocat et de remise en état reposent sur le propriétaire. Même une procédure judiciaire contre le constructeur risque d’être irrecevable.
c) Risque de baisse de valeur du bien
Un logement souffrant de désordres structurels non couverts perd de sa valeur de revente. La fin de la garantie décennale peut donc impacter directement le patrimoine du propriétaire.
7. Comment se prémunir avant la fin de la garantie décennale ?
a) Réaliser un diagnostic technique avant échéance
Vers la 9e ou 10e année, il est fortement conseillé de faire réaliser un diagnostic complet de l’ouvrage par un architecte ou un bureau d’étude. Cela permet de :
- détecter d’éventuels désordres encore couverts,
- engager une déclaration de sinistre dans les délais.
b) Déclarer les désordres au plus vite
Dès qu’un dommage suspect apparaît (infiltration, fissure, affaissement), il faut immédiatement :
- notifier le constructeur par courrier recommandé,
- informer son assureur habitation,
- conserver les preuves (photos, expertises, échanges).
Attention : même si le désordre semble mineur, il peut cacher une atteinte à la solidité.
c) Vérifier le contrat d’assurance habitation
Certaines assurances multirisques habitation intègrent des garanties spécifiques après la décennale, notamment contre :
- les dommages structurels,
- les défauts d’étanchéité,
- les désordres non visibles.
8. Cas des copropriétés : vigilance accrue

Dans les immeubles collectifs, la fin de garantie décennale concerne les parties communes (toiture, fondations, escaliers, façades, etc.). Il revient au syndic d’anticiper cette échéance.
Ce qu’il faut faire :
- planifier une expertise technique globale de l’immeuble,
- informer l’assemblée générale,
- déclencher les garanties avant le 10e anniversaire de la réception des travaux.
9. Est-il possible de prolonger la protection après la décennale ?
La garantie décennale n’est pas renouvelable, mais certains dispositifs peuvent prendre le relais :
a) Assurance dommages-ouvrage (DO)
Souscrite avant le chantier par le maître d’ouvrage, la DO expire également au bout de 10 ans, mais permet d’accélérer les indemnisations. Elle n’est donc pas une solution post-décennale.
b) Contrat de maintenance ou de suivi
Certains maîtres d’ouvrage concluent des contrats de maintenance (sur les équipements, les toitures, etc.) permettant un suivi régulier. Ce n’est pas une garantie légale, mais cela limite les risques à long terme.
Une échéance à anticiper avec méthode et vigilance
La fin de la garantie décennale ne doit en aucun cas être prise à la légère. Elle constitue une date butoir légale au-delà de laquelle le propriétaire n’est plus protégé contre les désordres structurels relevant de la responsabilité des constructeurs. Elle marque la fin d’une protection juridique et assurantielle majeure, imposée par la loi, qui garantit pendant dix ans une certaine sérénité en cas de malfaçons graves. Une fois ce délai écoulé, les réparations — parfois coûteuses — peuvent reposer exclusivement sur le maître d’ouvrage.
C’est pourquoi une anticipation rigoureuse s’impose, aussi bien pour les particuliers que pour les professionnels de l’immobilier ou les syndics de copropriété. Ne rien faire, c’est prendre le risque de devoir assumer seul les conséquences de désordres lourds, parfois invisibles à l’œil nu mais dont les effets peuvent se manifester plusieurs années après la réception.
Avant l’échéance, il est crucial de mettre en place un plan d’action structuré :
- Faire vérifier l’état du bien par un professionnel du bâtiment
Un architecte, un expert indépendant ou un bureau d’étude technique pourra établir un diagnostic complet de l’ouvrage, identifier les signes de dégradation et recommander les mesures nécessaires. Cette inspection peut révéler des désordres encore couverts par la garantie décennale, permettant d’engager une procédure avant qu’il ne soit trop tard. - Déclarer rapidement tout désordre suspect
Fissures inhabituelles, infiltrations d’eau, affaissement de terrain, problème de ventilation : chaque indice doit être considéré sérieusement. Un courrier recommandé avec accusé de réception envoyé au constructeur ou à son assureur, accompagné de photos et d’un rapport d’expert, permet de faire valoir ses droits dans les temps. - Conserver tous les documents liés à la construction
Contrat de travaux, procès-verbal de réception, attestations d’assurance, rapports de visite, factures et correspondances : tous ces éléments seront précieux en cas de litige. Ils permettent de prouver la date de départ de la garantie, le périmètre couvert et les éventuelles anomalies déjà signalées. - Envisager des solutions complémentaires de couverture ou d’entretien
Même après la fin de la garantie décennale, certaines assurances spécifiques peuvent prendre le relais (multirisque habitation avec extension, assurance propriétaire non occupant, etc.). Par ailleurs, contractualiser un programme d’entretien avec des entreprises qualifiées (nettoyage de toiture, contrôle des fondations, vérification de l’étanchéité…) contribue à préserver l’intégrité de l’ouvrage et à prévenir les sinistres coûteux.
La fin de la garantie décennale n’est pas seulement une échéance calendaire : c’est une étape stratégique de gestion patrimoniale. La négliger peut entraîner des coûts imprévus, des contentieux complexes et une dévalorisation du bien immobilier. À l’inverse, l’anticiper permet de sécuriser son investissement sur le long terme, d’agir dans les délais, et de conserver une tranquillité d’esprit, même après la décennie de protection légale.
FAQ – Fin de garantie décennale
Peut-on engager la garantie décennale à la 10e année exacte ?
Oui, tant que le désordre est signalé avant le jour anniversaire des 10 ans.
Un désordre découvert à 10 ans et 2 jours est-il encore couvert ?
Non, le délai est strictement de 10 ans, sans possibilité de prorogation.
Et si le constructeur a fait faillite avant la fin de la garantie ?
L’assurance décennale qu’il a souscrite doit prendre le relais. Elle est obligatoire.
La garantie décennale couvre-t-elle les équipements (chauffe-eau, VMC) ?
Non, sauf s’ils sont indissociables de l’ouvrage (ex : canalisations encastrées).
La garantie décennale s’applique-t-elle aux travaux de bricolage ?
Non, seuls les travaux réalisés par des professionnels assurés sont concernés.